Redynamiser le lien social par l’économie sociale et solidaire via un réseau Internet citoyen

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Internet est aujourd’hui l’objet de diverses critiques : il affaiblirait le lien social local, renforcerait la marchandisation, serait le plus souvent utilisé à des fins non-citoyennes et évoluerait vers un modèle de plus en plus centralisé et non libre. Si ces critiques sont en partie pertinentes, il n’en demeure pas moins qu’Internet est avant tout un outil, et qu’en tant que tel, il peut être régulé et approprié selon différentes modalités. Fort de ce constat, nous avons entrepris une recherche-action qui vise à montrer qu’à travers l’utilisation du logiciel libre, de la culture libre et l’implantation de RAN, Internet peut renforcer les initiatives de l’économie non-marchande, sociale et solidaire, et contribuer au développement local de zones marquées par l’anomie, en solutionnant des problématiques qui leur sont posées, tout cela dans un esprit de participation citoyenne renforcée [1].

Introduction

L’usage et la régulation d’Internet suscitent aujourd’hui de nombreuses controverses. Savoir s’il peut être un outil mis au service du renforcement du lien social, et s’il peut favoriser le développement de l’économie non-marchande [2], font par exemple partie des questions fréquemment débattues. Questions hautement complexes, qui font intervenir de nombreux paramètres hétérogènes (économique, sociologique, technologique, etc.), au sein d’une situation sociale elle-même complexe. On conçoit dès lors pourquoi la recherche scientifique classique peine à y apporter des réponses claires et définitives. Pourtant, au fur et à mesure qu’Internet grandit et se démocratise, ses effets sociaux et économiques se font ressentir avec une intensité croissante, et la nécessité d’élaborer des modes d’utilisation et de régulation citoyens de cet outil se fait de plus en plus pressante. Comment, alors, déboucher sur des résultats empiriques et théoriques satisfaisants, pouvant donner lieu à des applications concrètes qui répondent aux attentes des acteurs concernés ?

Pour répondre à de telles exigences, à la fois scientifiques et citoyennes, il paraît pertinent de se tourner vers une approche plus holistique que la recherche classique, comme la recherche-action [3]C’est ce que nous proposons de faire dans cet article, qui définit un projet de recherche-action - et élabore une réflexion visant à délimiter son cadre théorique et pratique - traitant de l’utilisation d’Internet de manière éthique, dans le but d’en faire un outil mis au service de la reconstruction du lien social dans des zones géographiques frappées par l’anomie [4] - quartiers sensibles, zones rurales [5]

Quels sont les avantages de ce nouveau média par rapport aux autres ? Une telle reconstruction peut-elle s’appuyer sur le développement de l’économie non-marchande et de l’économie sociale et solidaire ? Autant de questions que cette recherche-action entend explorer. L’article est suivi d’une courte réflexion sur les implications de cette recherche-action sur la problématique de l’usage collectif d’une technologie.

Problématiques soulevées par l’usage d’Internet

Les problématiques soulevées par Internet, en tant qu’outil de communication, s’articulent généralement autour de trois grandes thématiques.

  • La première concerne les modalités de fonctionnement et d’appropriation de l’outil proprement dit : « quelle gouvernance et quelle régulation faut-il pour Internet [6] ? », « quel doit être le rôle des pouvoirs publics dans le contrôle d’Internet [7] ? », « quelles doivent être les licences des contenus qui y circulent et des outils qui assurent son fonctionnement ? », « faut-il introduire des dispositifs techniques permettant de limiter l’accès au réseau [8] ? », etc.
  • La seconde concerne plus spécifiquement la finalité de l’outil et les usages qui peuvent en être faits : « Internet peut-il renforcer la démocratie dans le jeu politique [9] ? », « favorise-t-il, ou au contraire appauvrit-il, le lien social ? », « la finalité d’Internet n’est-elle pas de plus en plus pervertie par une logique marchande ? », etc.
  • Enfin, la troisième thématique porte sur la gestion de l’infrastructure matérielle qui permet le déploiement d’Internet : « est-il possible de rendre l’industrie informatique moins polluante ? », « comment limiter la consommation énergétique des serveurs et postes informatiques individuels », « quel est le support de réseau le mieux adapté pour le développement d’Internet dans des espaces ruraux et/ou sous-développés (Wi-Fi, WiMAX, réseaux sans fil communataires, offres ADSL ou SDSL [10]…) », etc.

S’agissant de la première question, les apports théoriques des mouvements pour le logiciel libre, la culture libre, les standards ouverts et de l’Internet libre, mais aussi les apports concrets, sous la forme de logiciels, de réseaux ouverts ou de contenus culturels, offrent un ensemble de réponses qui nous semblent globalement satisfaisantes [11]. Elles sont articulées autour de grands principes directeurs comme l’ouverture, la gratuité et la transparence. Mais il n’en va pas de même pour la question de l’informatique matérielle et de celle des finalités d’Internet.

Les problèmes de l’informatique immatérielle et des finalités d’Internet

En effet, il devient clair aujourd’hui qu’Internet nécessite, pour son fonctionnement, une part croissante et très importante d’énergie [12]. Cela inclut l’énergie utilisée et la pollution engendrée aux différents stades du cycle de vie des matériels informatiques (extraction des minerais, production, pollution à l’usage, destruction et recyclage, etc.) [13].

De même, les problèmes liés aux finalités d’Internet sont dans une large mesure irrésolus. Trois d’entre eux sont généralement mis en avant.

  • Le premier est qu’Internet conduirait : au niveau collectif, à une dégradation du lien social, renforçant de ce fait, l’anomie qui pèse sur les sociétés contemporaines [14] ; au niveau individuel, à des troubles psychiques et comportementaux nécessitant parfois une prise en charge médicale [15]. L’idée de fond qui sous-tend ces approches « cliniques » étant que le lien virtuel ne peut se substituer au lien social réel.
  • Deuxièmement, Internet serait de plus en plus asservi à une logique marchande. De ce fait, il s’éloignerait progressivement de sa forme initiale (la pratique de la gratuité, notamment) et de ses objectifs initiaux (élaborer un outil de communication ouvert à tous).
  • Enfin, troisième problème, Internet servirait à des individus dont les finalités sont illégitimes (terrorisme, cracking, téléchargement illégal, pédophilie, etc.).

Il faut noter que les partisans de l’informatique libre, pourtant prompts à défendre l’éthique du logiciel libre, ont majoritairement délaissé la question des finalités, et dans une large mesure, celle de l’informatique matérielle. S’agissant des finalités, l’argument avancé est généralement le suivant : ce n’est pas l’ouverture, ou encore la nature et la transparence de l’outil Internet qui doivent être remises en cause, mais les comportements des acteurs incriminés. Au même titre que l’outil « téléphonique » n’est pas « responsable » des conversations illégales qu’il permet. Autre analogie, une agence postale n’a pas à connaître le contenu des lettres qui circulent entre ses usagers. Enfin, le mécanicien, ou le constructeur de voitures, ne sont pas responsables du mauvais usage que font les conducteurs de voiture. Par conséquent, Internet étant avant toute chose un outil de communication, il faut se focaliser en priorité sur la façon dont il est approprié, et si possible de façon démocratique et transparente, et non sur les usages qui peuvent en être faits.

Quant à l’informatique matérielle, c’est la privatisation de l’outil informatique qui pousserait à la croissance énergétique et matérielle. En extrapolant sur le discours des partisans du logiciels libres, l’informatique propriétaire qui cible les consommateurs finals a besoin d’une rotation fréquente des matériels informatiques et des logiciels. Aussi évolue-t-elle vers des solutions toujours plus gourmandes en énergie et en matériel. À l’inverse, les partisans de l’informatique libre font valoir qu’ils ont développé des solutions logicielles adaptables, qui fonctionnent très bien sur de « vieilles machines », et qui sont peu gourmandes en énergie (l’environnement sobre du « geek »). Autre aspect, les acteurs de l’informatique propriétaire, et notamment les opérateurs réseaux, ont choisi des solutions techniques - comme l’ADSL au lieu du SDSL, ou encore, les moteurs de recherche centralisés - qui favorisent des comportements énergivores et fortement hétéronomisants [16], et limitent, à l’inverse, des pratiques plus respectueuses de l’environnement et plus autonomes comme le partage horizontal de ressources (contenus, bande-passante, espace de stockage, etc.).

Cependant, quelque soit l’argumentation avancée, il est clair que sur le fond, le positionnement de la communauté informatique du libre, s’inscrit dans la continuité de l’idéologie techno-scientifique dominante : à savoir, les concepteurs et les développeurs d’un outil ou d’une technologie ne sauraient être tenus responsables des applications qui peuvent en être faites, et de l’impact matériel et écologique qui découle de ces applications. Mais cette position rencontre aujourd’hui de sérieuses limites.

Tout d’abord, la croissance spectaculaire de l’informatique et de la consommation de produits électroniques, cela même dans les pays « sous-développés », commence à poser de réels problèmes sanitaires. Ce qui pourrait, à terme, compromettre le développement d’Internet.

Ensuite, la production de matériel informatique est de plus en plus lourde et complexe. Elle pourrait donc créer, au final, des déséquilibres géopolitiques, fragilisant des pays qui ne sont pas capables de développer eux-mêmes leurs propre industrie informatique. On conçoit en effet que si les problèmes de dépendance se posent à propos des brevets informatiques, il en va de même pour le matériel informatique [17].

Enfin, la question des finalités ressurgit dès qu’elle interfère avec la politique de régulation de l’outil Internet. Par exemple, la traque des terroristes sur Internet, ou l’utilisation d’Internet à des fins de piratage, justifient un filtrage croissant d’Internet par les gouvernements qui renforcent ainsi indirectement la concentration des opérateurs réseaux et des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) [18]

Mise en place d’une recherche-action pour un Internet citoyen.

En résumé, la problématique théorico-pratique qui alimente les réflexions autour d’Internet s’articule autour de trois questions de recherche principales.

  • Trouver une architecture réseau qui réponde à certains critères éthiques et écologiques modernes : minimiser la consommation énergétique et la quantité de matériel nécessaire (en partageant les postes inutilisés par exemple), utiliser du matériel fabriqué dans des conditions décentes, faire appel à des FAI respectant certains critères (taille raisonnable, concentration limitée des acteurs, profits limités), mettre en place un réseau réellement décentralisé et fondé sur l’autonomie, etc.
  • Utiliser des outils logiciels et des contenus numériques qui répondent aux critères éthiques définis par la culture et l’informatique libre : licence libre, ouverture, transparence, démocratie directe.
  • Faire en sorte qu’Internet soit utilisé, au moins en partie, pour des finalités qui ne sont pas nécessairement marchandes ou institutionnelles ; et faire en sorte qu’il pallie aux maux qu’on lui attribue habituellement : dégradation du lien social, atomicisation de la société, marchandisation de la vie privée (avec les blogs), etc.

Au risque de nous répéter, étant donné le caractère très expérimental des recherches auxquelles conduisent ces questions, elles ne sauraient trouver, selon nous, une réponse adéquate ailleurs que dans le cadre de la recherche-action. La recherche sociologique classique se limiterait en effet à explorer des solutions déjà existantes. Or, dans un contexte à ce point marqué par l’innovation, la frontière du champ des possibles est sans arrêt repoussée, et elle ne saurait donc marquer une limite à l’investigation scientifique. Qui plus est, il est peu probable qu’une modélisation, aussi fine soit-elle, réussisse à prendre en compte tous les aspects d’une situation sociale aussi complexe. Celle-ci faisant intervenir simultanément des paramètres culturels, éthiques, sociaux, techniques et économiques. Ajoutons qu’une recherche-action de type participative [19], conviendrait aux exigences d’appropriation collective [20] et démocratique de l’outil ; et également, à la recherche de la production de finalités diverses, responsables et partagées par les citoyens qui s’investiraient dans la recherche-action.

Concrètement, la recherche-action aurait pour finalité de répondre aux différentes questions posées par le déploiement d’Internet, en tentant d’y apporter une réponse concrète en terme de faisabilité et de prévisibilité - prévisibilité dans la mesure où les modèles qui fonctionnent pourraient être reproduits ailleurs [21]. Mais si la pertinence de ces questions ne peut se dévoiler pleinement qu’au fur et à mesure que progresse la recherche-action - en même temps que de nouvelles questions apparaissent - il est d’ores et déjà possible de définir quelques grandes lignes d’actions qui répondent aux problématiques prédéfinies, cela sur la base d’expériences déjà réalisées, ou sur une base plus spéculative.

La question de l’architecture matérielle et de l’appropriation collective de l’outil

Examinons en premier lieu la question de l’architecture matérielle. On pourrait tout d’abord penser qu’elle ne peut trouver de réponses qu’au niveau macro-politique, à travers une réglementation ciblée de l’industrie informatique et des opérateurs réseaux. Néanmoins, les contraintes qui se jouent au niveau international font intervenir des forces économiques difficilement maîtrisables, et quasiment impossibles à atteindre dans le cadre d’une recherche-action. De plus, il semble qu’elles empêchent les pouvoirs publics de légiférer dans le bon sens. Globalement, l’orientation politico-idéologique de cette décennie va en effet vers la satisfaction des intérêts des grands groupes industriels et des lobbies, et vers un contrôle accru de l’outil Internet, au détriment des intérêts directs des citoyens [22]. Aussi, à défaut de pouvoir trouver une réponse macro-politique, la question ne semble pouvoir être résolue qu’à un niveau plus restreint. Par exemple, au niveau d’un réseau associatif, délimité par les centres d’intérêt communs qui unissent les coopérants ; ou encore, au niveau d’une zone géographique restreinte, par exemple, un village, un quartier ou une ville [23].

Et de fait, il existe déjà diverses initiatives qui permettent un raccordement au réseau tout en s’appuyant sur des critères éthiques.

  • L’acquisition de postes informatiques recyclés, ou respectueux de l’environnement. Ce qui peut se faire, à titre d’exemple, en partenariat avec des acteurs de l’économie sociale comme Emmaüs [24].
  • La connexion partagée, soit sous la forme d’un réseau sans fil communautaire [25], soit sous la forme de connexions xDSL partagées.
  • Le recours à des FAI locaux et/ou associatifs [26].
  • La création de salles auto-gérées, dédiées à un accès gratuit à Internet et à des postes informatiques [27].

Toutes ces mesures gagneraient à être mises en place sur des espaces géographiques restreints puisqu’en effet, elles pourraient alors bénéficier de l’appui des collectivités territoriales (communes, voire intercommunalité), et du tissu associatif local. Il n’est pas irréaliste, en effet, d’envisager la création de FAI locaux, portés par les acteurs économiques et politiques locaux.

Les avantages pourraient être de divers ordres, mais on peut d’ores et déjà mentionner les suivants :

  • Une plus grande égalité d’accès à Internet au sein d’une zone géographique donnée.
  • L’acquisition d’un outil pour les communes, permettant de sensibiliser la population aux enjeux économiques et écologiques de l’Internet.
  • Des gains financiers, liés aux partages des connexions, de la bande-passante, et pourquoi pas, d’espaces de stockage [28].
  • Des débouchés économiques, avec la présence éventuelle d’un personnel chargé d’assurer la maintenance du réseau - bien qu’une maintenance collective et partagée puisse présenter également un grand intérêt, en accroissant l’autonomie de certains usagers.
  • Des débouchés économiques liés aux opportunités que propose Internet.
  • Des opportunités offertes à la population locale pour apprendre à utiliser l’outil informatique (système d’apprentissage qui pourrait être collectif et s’appuyer sur le modèle des GUL [29]).

Il va de soi, par ailleurs, que la mise en place d’une telle infrastructure réseau serait parfaitement compatible avec les exigences posées par les partisans du logiciel libre - qui concernent la question de l’appropriation collective de l’outil, quelque soient les finalités. En effet, les logiciels libres sont généralement parfaitement adaptés pour gérer les infrastructures réseau. Et il faut ajouter, à cet endroit, que la mutualisation des compétences et des apprentissages dans le cadre d’un projet intercommunal, aurait pour effet de réduire les couts de maintenance. Naturellement, la « gratuité » potentielle des licences libres réduirait également les couts à la charge des communes ou des particuliers.

En bref, on peut espérer que cette appropriation collective irait vers un « service public citoyen » de qualité, en grande partie « auto-géré » par l’intercommunalité, et dont bénéficieraient les citoyens. Ceux-ci joueraient à terme, un rôle d’acteurs-utilisateurs, participant au fonctionnement du réseau et l’utilisant pour leur propres fins. Les acteurs de ce réseau citoyen pourraient offrir les compétences acquises à d’autres acteurs intéressés ; et participeraient, faisant cela, au développement du logiciel libre et à la diffusion d’innovations qu’ils auront pu développer par ailleurs [30]. Enfin, une initiation à l’informatique libre, comme vu plus haut, offrirait aux habitants la possibilité de choisir en pleine connaissance de cause entre les logiciels libres et les logiciels propriétaires.

La question des finalités : la reconstruction du lien social

Si une telle architecture matérielle et immatérielle irait dans le sens d’une appropriation collective et éthique de l’outil Internet, elle n’apporterait pas pour autant de réponses à la question des finalités d’Internet. Il faudrait donc, pour cela, y superposer des systèmes socio-techniques spécifiques. Envisageons lesquels diminueraient, voire inverseraient, les aspects négatifs liés à l’usage d’Internet.

Tout d’abord, pour rappel, Internet est souvent accusé de dénaturer, ou même de détruire le lien social. À cela, il est possible de rétorquer que l’anomie qui caractérise la société contemporaine, notamment dans les zones rurales, est antérieure à l’apparition d’Internet. La cause de cette anomie provient plus sûrement du développement industriel entamé dès le XIXe siècle, que d’Internet. Au contraire, en examinant objectivement la situation, il s’avère qu’Internet apporte plutôt un « vent d’air frais » dans les zones isolées, puisqu’il fournit un espace d’échange culturel interactif qui y fait souvent défaut. Reste à savoir si l’accès à cet espace est réellement pertinent dans des zones géographiques où c’est justement l’isolement qui permet la préservation de certains traits culturels. Mais nous rejoignons ici la question plus générale du développement, qui, si nous la suivions, nous emmènerait trop loin [31]. En revanche, dans les zones géographiques où la question de l’acculturation est moins pertinente que celle de l’anomie, Internet peut apporter des outils de reconstruction du lien social efficaces.

Ses potentialités sont en effet nombreuses. Par exemple, en développant un portail de communication participatif, fondé sur des outils interactifs - comme les wiki, les forums, les CMS -, les communes, ou les quartiers, peuvent mieux structurer et communiquer leurs animations culturelles et favoriser l’engagement des citoyens dans les activités collectives. Cet engagement peut de plus se faire à un niveau élevé de participation. En effet, les initiatives peuvent être prises directement par les citoyens, et ils peuvent s’investir directement dans la gestion de ces activités collectives.

Il y aurait donc à inventer, à cet endroit, un nouveau système de gestion de l’espace public, garantissant un investissement plus élevé et mieux partagé des acteurs dans le bien commun. Par exemple, on pourrait imaginer une liste où seraient répertoriés les tâches à faire dans la commune, les projets, les manifestations, les requêtes. Cette liste serait ouverte à tous, dans le sens où chacun pourrait venir la compléter. Parallèlement à cela, une liste permettrait à ceux qui le veulent, bénévolement ou de façon rémunérée, de participer aux projets ou aux actions collectives. Chacun pourrait alors tenter de faire valoir son projet, indépendamment des clivages politiques ou électoraux. Et il pourrait alors rencontrer plus aisément des personnes proches géographiquement, qui partagent les mêmes centres d’intérêt. Par exemple, des groupes de semeurs volontaires pourraient substituer à la gestion administrative des espaces verts, souvent polluante et coûteuse, une appropriation collective, artistique et écologique des friches et espaces publics. Quant aux conflits entre projets, ils pourraient être résolus par vote, ou par des discussions conduisant à un consensus.

Un tel système participatif conduirait très probablement à un engagement accru des acteurs dans la prise en charge de leur lieu de vie. De plus, les manifestations et les actions collectives qui en découleraient, constitueraient des points de ralliement qui redynamiseraient le lien social aux sein de zones où il est fortement appauvri - suite aux conséquences du développement ou de l’exode rural. Et, point important, la possibilité de se rencontrer dans un premier temps par Internet, pourrait être le point de départ à la construction de relations plus durables au sein de l’espace physique réel. Par ailleurs, la prise en compte des voix des minorités et des personnes isolées, voire des personnes isolées ou discriminées - qui pourraient éventuellement s’exprimer anonymement - aurait pour effet de renforcer l’attention portée vers elles.

En résumé, un tel système participatif aurait plusieurs fonctions :

  • Accroître l’engagement des acteurs dans la gestion de l’espace public.
  • Faciliter le déploiement de nouveaux projets et de nouvelles initiatives.
  • Permettre le regroupement de personnes qui présentent les mêmes centres d’intérêt.
  • Dynamiser le lien social à travers la réalisation d’actions collectives (manifestations culturelles, création de skate-parc, organisation de fêtes, etc.).
  • Réinsérer les personnes isolée ou marginalisées à l’intérieur d’une communauté.

Autre finalité : le développement de systèmes d’échanges non-marchands

Examinons désormais le deuxième aspect critique d’Internet. Celui-ci servirait de plus en plus à des fins mercantiles. En premier lieu, il paraît important de souligner ici que c’est loin d’être évident. En effet, s’il est vrai que des services marchands ont vu le jour sur Internet, et que toute entreprise moyenne qui « se respecte » (ou presque) a aujourd’hui son site Internet, il n’en demeure pas moins qu’une partie considérable des échanges sur Internet sont non-marchands. Que dire en effet des groupes de discussion, des forums, des blogs, des sites persos, qui constituent la toile de fond d’Internet ? Le problème, à cet endroit, c’est d’une part, qu’il est très difficile de quantifier la part du marchand et du non-marchand sur internet (sur quels critères se fonder : l’espace de stockage ?) ; et d’autre part, que la critique du « tout-marchand » a tendance à occulter le fait qu’Internet sert aussi de support à l’économie non-marchande (de plus en plus rares sont les associations qui n’ont pas leur site Web) et anti-marchande (http://www.indymedia.org/fr/"> Indymédia, par exemple).

De plus, cette confrontation entre espaces non-marchands et marchands sur le réseau n’est peut-être pas la plus pertinente pour saisir les enjeux d’Internet. Car le principal apport de ce média est surtout de servir de support technique à la coordination décentralisée d’acteurs polarisés autour de pratiques non-marchandes. Les acteurs du logiciel libre l’ont bien compris, et ont été parmi les premiers à utiliser cette propriété d’Internet pour mettre en place des systèmes alternatifs, en grande partie non-marchands, de développement des logiciels. Mais les modèles de coordination qu’ils ont créés commencent aujourd’hui à irriguer l’ensemble de l’économie non-marchande. De ce fait, leur application au développement d’un tissu économique et social non-marchand, localisé au sein de petites zones géographiques, est aujourd’hui prometteuse.
En effet, le rayon d’action couvre des projets très variés, qui vont des réseaux d’échanges non-marchands et locaux, à des projets associatifs, et qui pourraient s’appuyer sur la mise en place de plusieurs structures :

  • Des structures améliorant la coordination de réseaux associatifs classiques et la coordination inter-associative.
  • Des réseaux de dons sans contre-partie, comme Freecycle, qui s’appuient sur des groupes de discussion locaux [32].
  • Des système d’échanges locaux (SEL).
  • Des systèmes facilitant la mise en place de zones de gratuité et des « vide-greniers non-marchands ».
  • Des « systèmes de partage », permettant de mutualiser et de partager des biens courants : appareils électro-ménagers, voitures, vaisselle, etc.
  • Des systèmes de prêts gratuits, garantissant légalement la traçabilité et l’état des matériels qui circulent.
  • Des lieux d’échanges culturels, où pourraient notamment être stockés (à faible coût), des contenus culturels en licence libre, facilitant ainsi leur diffusion. Ces lieux pourraient également servir à organiser des manifestations culturelles gratuites - à l’intérieur ou hors du lieu.
  • Des réseaux ouverts d’échanges ou de dons gratuits de services, de savoir et de savoir-faire, avec la mise en place probable d’ateliers participatifs.

Assurément, un regard anthropologique critique ne manquerait pas de souligner que de tels systèmes d’échanges et de dons risqueraient de se heurter aux systèmes de dons et d’échanges pré-existant, voire de les détruire ou de les dénaturer. Cela étant, dans les zones rurales où l’anomie est très élevée, il est certain que ces systèmes ont atteint leurs limites, quand ils n’ont pas été complètement anéantis… Par ailleurs, les technologies du développement ayant généralement eu pour conséquence la destruction ou la transformation brutale du lien social (voiture, télévision, technologies de confort), espérons qu’on ne puisse qu’approuver l’idée d’expérimenter - pour une fois - une technologie en tentant de « bien l’utiliser » - au sens où le préconisait Ivan Illich [33] -, c’est à dire ici, en l’utilisant pour renforcer et non affaiblir le tissu social local.

Avantages et inconvénients de l’outil Internet

Concrètement, quel serait l’apport des outils informatiques en réseau à ces systèmes, qui, il faut bien le reconnaître, pourraient s’appuyer sur d’autres supports de communication : communication papier, communication de face à face, communication téléphonique, etc. ? Il paraît important de bien le spécifier pour, d’une part, délimiter le champ à l’intérieur duquel ces outils informatiques peuvent être efficaces - car ils peuvent aussi être mal utilisés -, et d’autre part, bien mettre en relief leurs différences avec les autres outils de communication.

  • L’interactivité. Les réseaux informatiques, à la différence des médias papiers classiques permettent une interactivité forte : la consultation d’une information peut s’accompagner de commentaires, voire, dans le cas des wikis, d’une modification de l’information. Cette interactivité permet une plus grande fluidité des communications, utile dans la mise en place de projets collectifs, et notamment de réseau de partage et de prêts.
  • L’horizontalité et la décentralisation. A la différence de médias papiers ou de médias comme la radio, Internet permet à tout le monde de devenir facilement émetteur et donc de toucher un large public. Ajoutons qu’il a également autorisé la décentralisation de nombreux outils de traitement de l’information (outils de stockage, outils statistiques, outils de recherche, etc.). Ce qui permet à n’importe qui de faire valoir ses idées et de les exploiter, rejoignant en cela le droit de tenir une assemblée et de diffuser ses idées, évoqué par Ivan Illich dans son célèbre ouvrage Une société sans école. L’horizontalité intervient aussi dans la constitution de réseaux d’échanges non-marchands, en facilitant les échanges décentralisés.
  • L’archivage. A la différence du support oral, l’information peut être stockée à faible coût. Bien que ce ne soit pas nécessairement le cas (les communications [34] ne sont généralement pas archivées). Cette propriété peut être très utile à différents niveaux : les bonnes idées sont gardées en mémoire et peuvent être réutilisées par la suite ; l’information devient constamment disponible, ce qui peut améliorer la transparence en assurant une diffusion des discussions relatives aux décisions collectives ; et enfin, dernier point fondamental, cela facilite grandement le fonctionnement des systèmes qui nécessitent une bonne traçabilité des objets. Un système de prêt gratuits pourrait par exemple s’appuyer un listing des prêts entre membres du réseau, indiquant à celui qui souhaite emprunter qui est le possesseur temporaire du bien. L’usage de l’informatique est d’ailleurs déjà fréquent dans les SEL, où il est utilisé pour gérer les flux de monnaie et les échanges de services [35].
  • Le faible coût d’usage. L’usage d’Internet est relativement peu coûteux - économiquement parlant -, ce qui constitue une différence notable avec le support papier, et assure une égalité dans l’accès au média.
  • La disponibilité. L’espace d’expression est constamment disponible, ce qui permet de concilier les différents emplois du temps des personnes qui souhaitent communiquer. Cette constante disponibilité assure une meilleure expression et communication des idées.
  • La transparence. La transparence des communications, qui est rendu possible sur Internet permet dans certains cas de limiter des dérives qui peuvent toucher les organisations et notamment les associations : décisions prises en petit comité, règlements « parachutés », etc.
  • L’anonymat. Comme vu plus haut, l’anonymat, qui n’est pas naturel, dans des systèmes de communication de face à face, a certains avantages. Il permet notamment de « désinhiber » ceux qui n’osent pas, en temps normal, exprimer leurs opinions ou leurs revendications.
  • La diversité des supports. Internet englobe potentiellement plusieurs supports de communication : radios, téléphone, textes, vidéos, photos, visio-conférence… Cette diversité permet d’une part, d’adapter le support au contenu, et d’autre part, d’adapter le support aux compétence des personnes souhaitant s’exprimer. Grâce à un tel système, il est alors plus facile pour des analphabètes d’exprimer leurs idées. Ce qui rejoint, encore une fois, les spéculations d’Ivan Illich sur la nécessité de développer des systèmes de communication fondées sur la transmission orale différée dans le temps - il voulait à l’époque utiliser les magnétophones à cet effet [36].
  • L’ouverture. Potentiellement, les espaces d’expression et de coordination peuvent être ouverts à tous. Pour peu que l’infrastructure matérielle examinée plus haut soit mise en place.

Toutes ces propriétés des réseaux informatiques ouverts et décentralisés en font un outil précieux pour la reconstruction du lien social dans les zones fortement marquées par l’anomie. Néanmoins, il est clair que le média n’est pas exempt de défauts. Tout d’abord, il ne peut remplacer la richesse, l’intensité et les effets corporels et psychiques des communications en face à face. Ensuite, il n’est efficace, à la vue de la problématique que nous nous sommes fixés, qu’à la condition qu’il soit utilisé convenablement et à des fins non-marchandes. Or, au risque de nous répéter, il peut être voué à des usages bien différents. Tout dépend donc, ici, de la volonté des acteurs. Enfin, l’outil renforce l’hétéronomie, au moins au niveau communicationnel. C’est à dire que son usage collectif nécessite le raccordement à un système technique, pour reprendre les termes de Jacques Ellul [37], qu’une petite communauté ne peut maîtriser que très partiellement, étant donné sa haute complexité. Ce qui est une différence très nette, soulignons-le bien, avec d’autres supports de communication, comme la communication orale et la communication papier.

Perspectives de la recherche-action

Les perspectives ouvertes par une telle recherche-action seraient de différents ordres. Tout d’abord, en cas de réussite, elle conduirait à élaborer un modèle d’appropriation collective et citoyenne d’Internet, qui pourrait être reproduit ailleurs - adapté en fonction, bien sûr, du substrat culturel et du contexte. D’autre part, les difficultés rencontrées dans une telle recherche-action mettraient en relief les limites posées par ce genre de projets. Ensuite, elle apporterait probablement des aspects théoriques et expérimentaux intéressants en ce qui concerne la sociologie de la communication. Enfin, elle s’inscrirait à l’intérieur d’une réflexion plus vaste sur l’usage collectif d’une technologie, ou d’un outil, et de la maîtrise de ses effets sur le corps social, ou plus modestement, sur une communauté géographiquement localisée.

Sur ce dernier point, il est clair que les questions relatives à l’usage de l’Internet rejoignent de près celles qui sont relatives à d’autres outils - au sens large du terme - : voiture, télévision, maison, etc. Donc, en quoi cette recherche-action apporterait une réflexion et des résultats inédits ? Bien qu’il soit difficile d’anticiper une réponse, il faut d’emblée souligner qu’Internet présente une différence significative avec d’autres outils : il a été construit à ses débuts sur les bases d’une utopie, celle de l’« anarchisme rationnel », développé notamment par Norbert Wiener [38]. Ses caractéristiques techniques ont donc en partie été pensées sur la base d’une conception utopique de la société. Certes, il est peut-être vrai que ce discours utopique masque aujourd’hui des intérêts et des réalités économiques et politiques sous-jacentes plus pragmatiques (sécurité nationale, débouchés économiques, industrie informatique, etc.) ; mais sa prévalence permet en tous les cas de comprendre en partie, pourquoi, sociologiquement parlant, Internet est le lieu où se rencontrent et où prospèrent des mouvements sociaux porteurs d’utopies très diverses, allant des mouvements alter-mondialistes, au hacktivisme, jusqu’aux mouvements luttant pour un renouvellement de l’espace rural.

Cette mise en perspective historique autorise un premier regard réflexif sur cette recherche-action. Il faut en effet garder à l’esprit que celle-ci s’inscrit dans un mouvement de fond, qui est chargé de l’imaginaire et des mythes qui entourent Internet, et qui lui confèrent une dynamique et une teneur si particulière. Pourquoi en effet, ne pas effectuer une recherche-action sur l’usage de la voiture - et plus généralement des véhicules terrestres motorisés : camions, camping-car, motos ? Peut-être précisément parce que l’imaginaire qui entoure les véhicules terrestres motorisés est moins chargé d’espoirs que celui de l’informatique en réseau. Ou du moins, les utopies des années 70 qui entouraient la voiture, comme l’auto-stop, la « deudeuche à fleurs », la liberté du motard (magnifiée dans le film Easy Riders) et le « Van Wolkswagen », se sont effritées devant le principe de réalité. En se démocratisant, la voiture est devenue source de très nombreuses nuisances (pollution, destruction du commerce de proximité, invasion des centres urbains par les engins motorisés, etc.) ; la technologie et son usage ont été presque entièrement appropriés par le marché (les trajets en voiture constituent une part notable de ce qu’Ivan Illich appelle le travail fantôme [39]) ; quand aux aspects ludiques, ils se sont normalisés et standardisés au point de former à leur tour de nouveaux marchés, eux-mêmes source de nuisances.

Pour conclure, si la sociologie et l’économie classiques ont bien sûr un rôle à jouer pour mieux comprendre les différentes modalités d’usage d’un outil ou d’un bien, l’imaginaire qui l’entoure, les nuisances qu’il génère et les forces économiques qu’il met en jeu, la comparaison entre deux technologies, la voiture et l’informatique - l’une étant arrivée à maturité et l’autre en étant encore à un stade de développement récent -, montre que la recherche doit s’engager dès le départ au delà de la simple observation si elle veut tenter de mettre en oeuvre des solutions socio-techniques qui limitent les nuisances et les dérives qui entourent l’usage et l’appropriation d’un outil. Mais cela suppose à l’évidence de sortir des représentations et règles d’usage dominantes - comme la propriété privée - qui se sont élaborées autour de ces biens ou technologies. Par exemple, pour changer de domaine, comment espérer solutionner à long-terme les problèmes liés à l’usage de la terre (logements et agriculture industrielle), sans explorer, concrètement ou par la voie de la spéculation, de nouveaux rapports symboliques et pratiques à la terre ? Les expériences faites par les semeurs volontaires, par les adeptes de la permaculture, par les ramasseurs de plantes sauvages, par les jardins solidaires, les expériences au sein des CDC [40], sont autant d’exemples qui, nous semble-t-il, vont dans ce sens. C’est donc peut-être en étroite association avec ces mouvements porteurs d’innovation sociale, parfois déviants ou marginaux, que la recherche-action devrait pouvoir avancer, si elle veut agir efficacement sur le réel et produire des résultats scientifiques puissants. Et réciproquement, il faut espérer qu’associer la rigueur scientifique, les méthodes et l’éthique de la recherche-action, à de telles expérimentations sociales, puisse renforcer leur légitimité, et par là même, leur poids économique et social.

[1Article ayant donné lieu à une communication aux 10èmes Rencontres Mondiales du Logiciel Libre à Nantes (2009.

[2Article devant donner lieu à une communication aux 10èmes Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, Nantes, 10 Juillet 2009.[[Voir, par exemple, Philippe Breton, Le culte de l’Internet : une menace pour le lien social, Paris, La Découverte, 2000 ; Dang Nguyen Godefroy et Pénard Thierry, Marchand et non-marchand sur Internet : rivalité ou complémentarité ?, Communication Ecole d’Été du GDR TIC et société, Septembre 2003 ; Patrice Flichy, « Technologies fin de siècle : Internet et la radio », Réseaux, 2000, n°100, pp. 249-271 ; Olivier Fressard, « Démocratie, lien social et création », BBF, 2002, n°4, pp. 98-100 ; Josiane Jouët, « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux, 2000, n°100, pp. 487-521 ; Jean-François Marcotte (dir.), « Les rapports sociaux sur Internet, Analyse sociologique des relations sociales dans le virtuel », numéro thématique, Esprit Critique, Revue électronique de Sociologie, Octobre 2001, Vol. 3, n°10 ; Serge Proulx, « Trajectoires d’usages des technologies de communication : les formes d’appropriation d’une culture numérique comme enjeu d’une « société du savoir » », Annals of Telecommunications, mars 2002, Vol 57, N° 3-4, pp. 180-189 ; Serge Proulx et al., Communautés virtuelles, penser et agir en réseau, Presses Universitaires de Laval, 2007. Beaucoup de textes s’intéressent également à des aspects plus spécifiques du lien social, voir notamment, Jean-Samuel Beuscart, « Le devenir des innovations non marchandes sur l’Internet. Une étude des modèles économiques des webradios », Réseaux, n°125, 2004 ; Mélanie Bos-Ciussi, Du réseau à la communauté d’apprenants. Quelle dynamique du lien social pour « faire oeuvre » sur internet ? Enjeux et réalités dans un campus virtuel de l’Enseignement Supérieur, Thèse de Doctorat, Université Aix-Marseille I, 2007 ; Michaela Nedelcu, « Vers une nouvelle culture du lien : les e-pratiques locales et transnationales des migrants roumains hautement qualifiés », in M. Nedelcu (dir.), La mobilité internationale des compétences. Situations récentes, approches nouvelles, Paris : L’Harmattan, pp. 77-103.

[3Voir Michel Liu, Fondements et pratiques de la recherche-action, Paris, L’Harmattan, 1997 et M. Liu, « Épistémologie de la démarche holistique », CEDREA, 2006.

[4Définie au sens large comme une une sous-régulation sociale, une carence en relations sociales et une perte ou d’une distorsion des valeurs morales et des désirs des individus, au sein d’un groupe ou une société.

[5Quatres zones entrent potentiellement dans la catégorie. 1. zones rurales ayant subi les effets de l’exode rural, du développement, et de la recomposition sociale liée à l’arrivée des néo-ruraux (d’où, perte de traditions, isolement d’une partie de la population, zones peu attractives culturellement, problèmes de communication entre les néo et les anciens ruraux, etc.), 2. quartiers résidentiels où l’activité et la vie de quartier sont très faibles, avec éventuellement population vieillissante, 3. quartiers difficiles et stigmatisés, 4. zones en voie de développement avec intégration inégale dans l’économie moderne.

[6Sur cette question, voir notamment les travaux de l’association IRIS, Imaginons un Réseau Internet Solidaire, et principalement, les travaux de Meryem Marzouki. Voir également les travaux et les publications sur le site de l’équipe de recherche polyTIC.

[7Pour une introduction aux enjeux des licences libres, voir le texte de l’AFUL.

[8La question s’est posée récemment à propos de l’application de la « loi Hadopi ». Et il apparaît qu’elle se heurte tout autant à des résistances sociales qu’à des problèmes techniques limitant sa mise en application. Voir notamment le texte HADOPI, « Riposte graduée » : Une réponse inefficace, inapplicable et dangereuse à un faux problème, 09 Février 2009 - v1.0. Texte disponible sur le site La Quadrature du Net.

[9Les travaux sur les liens entre démocratie et Internet sont nombreux. Citons notamment Patrice Flichy, « Les enjeux démocratiques et administratifs d’Internet », Regards sur l’actualité, n°327, pp. 5-14, 2007 ; P. Flichy, « Internet, un outil de la démocratie ? », La vie des idées, 2008 ; Véronique Kleck, Numérique et Cie. Société en réseaux et gouvernance, Paris, Charles Léopold Mayer, 2006 ; Pierre Lévy, Cyberdémocratie. Essai de philosophie politique, Paris, Odile Jacob, 2002 ; Samira Ouardi, « Publier la parole pour refonder le politique : analyse d’un dispositif d’open-publishing », Communications et langages, n°147, mars 2006 ; Stefano Rodota, La démocratie électronique. De nouveaux concepts et expériences démocratiques, Apogée, Rennes, 1999.

[10SDSL : Ligne d’abonné numérique à débit symétrique. Contrairement à l’ADSL, dans une ligne SDSL le débit maximal en réception est égal au débit maximal en émission. Ce qui peut faciliter les échanges de données horizontaux et l’hébergement des données destinées à être diffusée à partir de serveurs individuels. Notons qu’il existe d’autres technologies du même type regroupées dans la famille xDSL.

[11Pour une introduction, voir le site de la Free Software Foundation. Voir également l’ouvrage de Pekka Himanen, L’Éthique hacker et l’esprit de l’ère de l’information, Paris, Exils, 2001.

[12Voir notamment, Maruti Gupta et Suresh Singh, Greening of the Internet, ACM SGCOMM’03, Août 2003 ; Kaoru Kawamoto et al., Electricity Used by Office Equipment and Network Equipment in the U.S. : Detailed Report and Appendices, Energy Analysis Department, University of California, Février 2001 ; Jim Thomas, « L’empreinte écologique d’Internet », L’écologiste, n°28, Vol. 10 n°1, p. 17, Avril-Juin 2009.

[13À titre d’exemple, voir Zsolf Bakó-Biró et al., « Effects of pollution from personal computers on perceived air quality, SBS symptoms and productivity in offices », Indoor Air, Vol. 14 Issue 3, pp. 178 - 187, 2004 ; le rapport des ONG Basel Action Network et Silicon Valley Toxics Coalition, Exporting Harm. The High-Tech Trashing of Asia, 25 février 2002 et le site de la Silicon Valley Toxics Coalition.

[14Voir Breton, ibidem.

[15Voir par exemple Serge Tisseron et al., L’enfant au risque du virtuel, Paris, Dunod, 2006 et Guy Gimenez et al., « La dépendance à Internet, une addiction nouvelle ? », L’information psychiatrique, Vol. 79, n°3, pp. 243-249, Mars 2003.

[16Sur la question du SDSL, voir l’interview de Benjamin Bayard, « Tout le monde a intérêt à transformer Internet en Minitel », Écrans, 6 février 2009.

[17Pour les brevets informatiques, la thèse est notamment défendue par Pierre Jarillon qui, dans une conférence, évoquait la possibilité à long terme d’un conflit international entre l’Europe et les États-Unis, ayant pour enjeu le contrôle des brevets informatiques.

[18Voir Bayard, ibidem.

[19Dans la conception classique de la recherche-action développée par Kurt Lewin, celle-ci doit être participative, les acteurs participent à la préparation des décisions concernant le changement social, et démocratique : est valorisée la démocratie directe dans les petits groupes d’action. Voir Liu (2003).

[20Sur cette notion, voir Jacques Prades, Compter sur ses propres forces - initiatives solidaires et entreprises sociales, Les éditions de l’Aube, 2006.

[21Voir Liu, ibidem.

[22Voir notamment Benjamin Bayard, Internet libre ou Minitel 2.0, Conférence orale donnée aux RMLL 2007, Amiens, et le site PolyTIC.

[23Plusieurs expériences ont d’ores et déjà été entreprises, et ont donné lieu à des publications. Citons notamment Christophe Assens et Dominique Phanuel, La gestion municipale sur Internet : démocratie réelle ou virtuelle ?, 2001 ; Michel Hervé, « Citoyenneté active et développement urbain durable : l’expérience de Parthenay », Transversales, n°41, 1996 ; Françoise Papa et al., TIC & développement durable des territoires de montagne, VI Colloque International « TIC et Territoire : Quels développements ? », 14 & 15 Juin 2007, Université Lyon III et Joseph Salamon, Territoires projets urbains et participation citoyenne : Dialogue urbain et partage de l’information (idem).

[24Voir Olivier Razemon, « Recycler son matériel informatique », Le Monde, 19 avril 2006. Greenpeace propose également un classement fréquemment actualisé des fabricants d’ordinateurs, consoles de jeux et téléphones portables, Le guide pour une hi-tech responsable, établi en fonction de trois critères : gestion des substances chimiques toxiques, gestion des déchets électroniques, réduction de la facture climatique et énergétique.

[25Les réseaux sans fil communautaires sont des réseaux utilisant des technologie LAN (Wi-Fi, WiMAX). Certains sont utilisés pour être reliés à Internet. Dans les zones rurales où l’accès à Internet (en haut-débit) est indisponible ou cher, ces réseaux constituent en effet une alternative technique et économique très efficace. On parle alors de RAN (Rural Area Network) qui désigne un réseau informel d’habitants se regroupant autour de connexions sans fil, montant eux-même un réseau dont ils sont responsables et devenant ainsi leur propre fournisseur d’accès. Ces réseaux sont souvent constitués de passionnés du radio-amateurisme et d’adeptes du logiciel libre. Ces systèmes de partage sont réputés pour avoir des effets secondaires intéressants : l’implication des membres du réseau dans la vie sociale locale, rencontres régulières et participation de tous les membres pour une bonne maintenance, développement de contacts avec les collectivités, partage de l’information technique avec les autres réseaux, etc. Ces réseaux donnent généralement naissance à des associations formelles ou informelles. Bref, ils s’appuient en grande partie sur les principes d’appropriation collective des outils définis au sein de l’économie sociale et solidaire. Voir les articles sur Wikipédia, Rural Area Network et Réseaux sans fil communautaires,. Le site de la Fédération France Wireless et le Web ring des RANs fédèrent notamment les réseaux déjà constitués.

[26Quelques FAI proposent des services d’accès à Internet dans un cadre associatif ou à des fins non-lucratives. C’est le cas notamment de l’association FDN qui a pour but la promotion, l’utilisation et le développement des réseaux Internet et Usenet. La formule n’est pas nouvelle puisque l’association existe depuis Juin 1992. D’autres opérateurs réseaux tentent de fournir un accès à Internet, en conformité avec l’éthique d’Internet et des logiciels libres, ou bien, s’inscrivent dans une démarche de service de proximité, notamment des entreprises comme neuronnexion, IS production, Gitoyen, qui se définit comme un Groupement d’Intérêt Économique regroupant plusieurs entreprises et associations intervenant pour un Internet non-marchand. Enfin, on observe un développement des opérateurs réseaux de proximité. FDN a par exemple pour projet de se partitionner à terme en une fédération d’opérateurs locaux. Voir l’article FDN, fournisseur d’accès local ? où ils expliquent leur démarche. Divers articles, Frédéric Bergé et al., « Quand l’opérateur local stimule la concurrence », 01 Informatique, n°1961, 11 septembre 2008, ou « Émergence des premiers opérateurs locaux de service télécom », L’observatoire des territoires et administrations numériques, 30 juin 2006, expliquent en quoi le développement des opérateurs locaux accompagne les réseaux d’initiatives publiques, et l’intérêt pratique et éthique de recourir à ces opérateurs de proximité. Diverses initiatives se sont d’ailleurs lancées pour fédérer ces opérateurs locaux, voir Territoires et haut débit : le blog des projets, l’Association des Internautes Territoriaux, et l’association LocalGIX dont une présentation est faite dans l’article « Les plate formes d’interconnexion GIX, nouvel outil d’aménagement numérique des territoires », @Brest, 23 septembre 2004

[27Les salles permettant un accès gratuit à Internet peuvent exister sous diverses formes. Tout d’abord, sous la forme de postes fixes connectés à Internet dans des espaces auto-gérés. L’Espace Autogéré des Tanneries, situé à Dijon, offre ainsi une salle dédiée, composée de nombreux postes informatiques équipés du système d’exploitation Linux. Et il faut noter qu’un tel partage de connexion pourrait se faire également dans un cadre privé, à titre bénévole ou non. Ensuite, sous une forme plus institutionnelle, de nombreuses institutions locales mettent aujourd’hui à disposition des salles connectées à Internet. Mentionnons par exemple l’initiative @rchipel, qui, en pays rochefortais, propose sur plusieurs communes un accès gratuit à Internet et des animations informatiques, entre autres, en partenariat avec des agences postales. Enfin, les réseaux sans-fil permettent aujourd’hui à une commune d’offrir aisément l’accès à Internet dans n’importe quel lieu.

[28Les gains peuvent aussi provenir de la participation à des hébergeurs auto-gérés, non-marchands et/ou associatifs, proposant généralement des services gratuits - ou presque - ou fonctionnant sur des donations, et qui sont aujourd’hui très bien développés. Voir le site du projet RHIEN, le Réseau des Hébergeurs Indépendants et Engagés qui regroupe une partie de ces opérateurs de service. Voir aussi L’Autre Net.

[29Groupe d’Utilisateurs de Linux. Les GUL sont généralement des groupes locaux et informels - parfois fédérés au sein d’une association - d’utilisateurs de Linux qui échangent des savoir-faire, informations et compétences informatiques ; mais également, des contenus numériques, comme les logiciels libres. L’organisation au sein de ces GUL est le plus souvent très informelle et les relations sont fondés sur la solidarité entre passionnés, ou sur le partage de connaissances entre novices et utilisateurs expérimentés.

[30C’est ce que certains libristes appellent le « cercle vertueux » du logiciel libre. C’est une source notable - bien que non exclusive - du logiciel libre. Elle est fondée sur l’idée d’amélioration progressive du bien collectif.

[31La question est en partie explorée, en ce qui concerne le continent africain, par Alain Kiyindou dans « La place des savoirs africains sur Internet ou penser la fracture numérique par le contenu », Les fractures numériques Nord / Sud en question, Deuxième partie, NETSUDS, n°2, L’harmattan, pp. 51-62, août 2004 et par Aurélie Laborde, « Mettre les nouvelles technologies au service du développement : une analyse critique du discours du PNUD » idem, pp. 27-40.

[32Ces groupes mettent en relation des personnes qui souhaitent se débarrasser d’objets qui les encombrent avec des personnes qui en ont besoin. Le but étant de libérer les espaces naturels d’objets abandonnés bien qu’encore utiles.

[33Ivan Illich, Une société sans école, Seuil, 1971.

[34IRC : Internet Relay Chat. Protocole de communication instantanée.

[35Voir le site SEL’idiaire.

[36Idem.

[37Jacques Ellul, Le système technicien, Calman-Lévy, 1977.

[38Voir Philippe Breton, L’utopie de la communication, Paris, La Découverte, 2000 et Norbert Wiener, Cybernétique et société, Paris, Union générale d’édition, 1971.

[39Ivan Illich, Le travail fantôme, Seuil, 1981.

[40Voir l’article de Jacques Prades, « Community Dévelopment Corporations et logiciels libres. Une anthropologie comparée des formes coopératives », Terminal, n°91, 2004, p. 73-83.

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Posté le 12 juin 2009 par Benjamin Grassineau