Recherche-action portant sur la « spirale de la violence sur le secteur de l’APSAJ »

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Intervenir dans le milieu, sur le milieu, avec le milieu

Dans la perspective d’une expertise interne à l’APSAJ, le labo ligne de crête a initié la constitution de groupes de paroles avec des pères de famille, des mères de famille et des jeunes issus du secteur Riquet- Stalingrad et Curial-Cambrai. L’objectif est le croisement des regards sur la situation : leurs identités de pères, de mères et de jeunes.

Un groupe de dix pères de famille s’est constitué ; avec le groupe de mères et le groupe de jeunes, la formation est en cours.

La première séance avec ce groupe de pères s’est engagée sur le thème de « la honte », ensuite un des participants a posé la question : « Pourquoi nous les papas, sommes-nous absents dans l’éducation de nos enfants ? ». Puis l’accent a été mis sur le conflit entre le père et la mère à l’intérieur du foyer. Le vocable « guerre » et l’image « il y a le feu à la maison » ont été formulés. « Pour régler le problème des enfants, il faut régler les relations entre père et mère », a convenu le groupe de pères de famille. Le groupe a formulé sa volonté de comprendre.

Les thèmes apparus lors de ce premier échange (d’une durée de 4 heures) : Conflits d’autorité ; conflits autour de l’argent ; ingérence du voisinage et des agents et structures de l’Etat qui tendent à les désigner comme parents et époux maltraitants.

L’ensemble des thèmes abordés indique qu’ils se vivent encore comme des sujets coloniaux (différentiel de pouvoir dans leurs interactions avec les institutions et la culture d’accueil).

Il est à souligner que ce groupe demande une action de médiation collective entre « père et mère ». Une recherche action peut être envisagée pour dégager les modalités d’une démarche de médiation et permettre aux couples et au collectif de parents de se dégager des formes et actions destituantes, qui agissent à l’intérieur du processus d’acculturation. L’enjeu est d’éviter une situation de déculturation et de désocialisation, découlant, me semble-t-il, de la rencontre de la tradition avec la société d’accueil. 

Concepts à mobiliser autour de cette question de la spirale de violence : tradition ; autorité ; processus d’acculturation ; déculturation ; désocialisation ; disqualification ; régulation ; domination, assignation collective, émancipation ; stigmatisation ; médiation ; identification.

Le travail mené avec ce groupe de pères de famille est connexe avec le travail portant sur la spirale de la violence engagé dans le cadre du labo de l’APSAJ. Ce travail porte sur deux pôles : le quartier (espace des jeunes) et la cellule familiale.

Hypothèse mise en discussion dans le cadre du laboratoire

(Conditions de production de comportement).

La spirale de la violence dont sont à la fois porteurs et victimes certains jeunes du secteur de l’APSAJ est liée à la disqualification des pères de famille. Cette disqualification est elle-même liée à une forme de déculturation qui affecte et déstructure la cellule familiale.

C’est ce que semblent indiquer les échanges avec le groupe de pères constitué en groupe de parole. Cette hypothèse se nourrit également de mes précédents travaux de recherche, dans lesquels je me demande pourquoi dans une société qui prône le changement permanent et la valorisation de l’individu, l’identité de certaines groupes semble-t-elle comme figée dans une relation de dépendance vis à vis des institutions ?

Ma deuxième hypothèse considère les acteurs endogènes comme porteurs d’une compréhension du problème qui se posent à eux, ainsi que de sa mise en solution.
Dès lors, dans quelle mesure la communauté peut-elle être une solution ou un enfermement ?1

Echange avec Michel Liu, 19 juin 2019

Suite au débat du labo, du 18 juin 2019 sur la question de « la médiation ».

  • La position de Michel Liu est : « il faut dire au gens, vous êtes en capacité de régler vos problèmes, vous n’avez pas besoin de médiateur ».
  • La formulation par l’expert est prématurée, elle empêche la découverte. Les notions et hypothèses énoncées au début d’une recherche-action influencent la situation, dans la mesure où elle institue un regard d’expert …

« C’est quoi la déculturation ? Qu’est-ce qu’ils ressentent et pourquoi ? « Pourquoi mes enfants me méprisent ? ». La recherche-action implique du temps. Il faut du temps, il faut cheminer, il faut du temps avant de dire quelque chose sur une situation. Pas de formulation hâtive … Pour éviter le sentiment de tourner en rond, « de se regarder pédaler », faire passer l’idée, « vous dites des choses importantes », et faire des petites choses, premier pas … Souvent dans la tête des gens, le diagnostic et l’action ne sont pas séparés : « y’a qu’à » ! « y’ a qu’à », c’est une façon de passer à l’action, premier pas … puis revenir sur l’action, qu’est ce qu’il aurait fallu faire pour que ça marche ? Faire attention que les gens disqualifiés ne retombent pas dans un sentiment de disqualification. Leur dire « vous pouvez, vous savez ».
Ethique de la rencontre … les gens disqualifiés ont un savoir issu de leur expérience de personne disqualifiée. Meurtrie par la disqualification, sortir de cette situation … Pour ce faire, développer, chemin faisant, une approche de la connaissance qui n’est pas nécessairement en rapport avec l’académique.

Le but du laboratoire est de trouver les démarches qui permettent de sortir de la disqualification … La réflexion et l’action passent par le dialogue.

  • Soutien social (réciprocité)
  • Charge psychologique (conflit de valeur), contrainte.
  • Ressource agissante (Marc). Prendre conscience de la difficulté, souligner l’effort accompli …

« C’est dans la mesure où l’on maitrise la réalité que l’on peut lui donner sens ». Ce postulat oriente le chemin pour accompagner la mise en œuvre d’une formation d’acteurs conscientisé et autonome -dans le secteur de l’APSAJ. Cette perspective permettrait de tracer un territoire mental d’espérance, en transformant l’espace de défiance et de résignation en espace de solidarité et de mobilisation…

  • Appartenance à une entité sociale élargie…un support pour amorcer et accompagner la construction d’une histoire commune.
  • Action collective comme démarche d’intégration ; pas de lutte contre l’exclusion sans visée d’intégration, pas d’intégration sans conscience collective.
  • Inventer à partir de l’élément culturel ; qualité affective permet de faire passer les idées…partager ce qu’ils savent. Passer du groupe sans projet (englué dans une situation relevant de la socialisation d’attente) à des cercles de cultures.
  • La connaissance constitue un acte d’appropriation collective de la réalité
  • La culture se construit en tant que réponse collective aux défis de l’environnement…la conscientisation est donc un processus par lequel des hommes et des femmes des couches populaires s’éveillent à leur réalité socio-culturelle ; elle offre des repères pour dépasser les aliénations et les contraintes auxquelles ils sont soumis, s’affirment en tant que sujet, acteurs de leur histoire.

Pour mobiliser, il s’agit de partir des désirs communs ou de l’intérêt commun…partir des potentialités d’un milieu

Par Tahar Bouhouia, Juin 2019

Posté le 9 mars 2020 par Tahar Bouhouia