À la mémoire de Michel Marlot

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Au revoir vieux renard...

Michel Marlot nous a quittés le 23 mars 2017. Au nez et à la barbe de tous, et comme un ultime pied de nez, il est parti le jour de l’audit du Service Incendie (SDIS 71) par l’inspection de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise…

Il est également parti au moment où nous le regardions rebondir une fois de plus dans sa vie professionnelle, ayant pris sa retraite depuis un an il était devenu conférencier « pour le plaisir » et y trouvait de quoi exprimer son sens du spectacle... Je devais intervenir à nouveau avec lui pour les pompiers d’Ile et vilaine, et nous avions rendez-vous, pour travailler ensemble, le jour de son enterrement… Ce jour me fut particulièrement difficile à vivre, me sentant frustré, entre les discours officiels d’hommage et l’émotion intérieure chargée de tant de souvenirs. Seul les clins d’œil du discours de Pierre Patet, son complice de toujours, lui aussi Directeur Départemental d’un Service d’Incendie et de Secours ont visé juste. J’ai été profondément ému par le discours de sa fille revenue des États-Unis pour l’occasion, déclaration d’amour à un papa dont elle assumait avec fierté tout le poids de l’héritage… Michel comme j’aurais aimé que tu l’entendes… Tu m’en parlais, avec pudeur souvent, avec fureur parfois, de l’amour que tu portais à tes enfants, enfants dont chaque réussite et prise d’initiative te rendaient le sourire même dans la tourmente.

Comment vous parler de Michel, sans passer à côté de ce qu’il était vraiment ?
Complexité, c’est bien le mot qui désigne le mieux sa personnalité. Il était dans le monde réel à l’égal de ces héros de roman d’aventures que l’on rencontre par hasard lorsque qu’un vieux livre vous tombe sur le pied, et que, curieux, l’on commence à en lire quelques pages sans jamais ne plus pouvoir arriver à le lâcher. Oui, Michel était l’un de ces héros qui sortent du récit et transcendent l’œuvre elle-même, un personnage pour lequel blanc et noir, bien ou mal, n’ont plus vraiment de sens si ce n’est dans le jeu de contraste d’une personnalité vive et espiègle, incarnation du chaos créateur, vecteur d’incidents clownesques, de découvertes pétillantes, de péripéties inattendues, de déséquilibres mobilisateurs, de décisions géniales, d’humbles commencements…

Si certains retiennent l’image institutionnelle du Directeur du Service Départemental d’Incendie et de Secours de Saône et Loire, Michel avait selon moi au final plus de la rock-star que du Colonel tel que l’on peut se l’imaginer habituellement. C’était un capitaine de bateau Pirate, charismatique, farceur ingénieux libéré par son impertinence piquante et malicieuse du carcan des règles figées de l’institution, et capable de vous emmener n’importe où sur des océans inconnus et tumultueux.

Michel m’avait confié un jour dans un éclat de rire que son statut social de Directeur était la meilleure blague qu’il avait pu jouer à son institution de tutelle « et je n’en suis pas peu fier » avait-il ajouté avec un large sourire avant de tirer une bouffée sur cette satanée cigarette qui ne le quittait jamais… Il avait été profondément ému lorsque je lui avais raconté qu’il était devenu l’un des héros des histoires que se racontaient au café les jeunes lieutenants à l’école des officiers lors de mes interventions, lui qui, ayant été Directeur de la même école, avait fait une revue des troupes devant un Ministre de l’intérieur en se décolorant les cheveux en blond peroxydé « pour le fun », qui, friand de contrepèteries, s’amusait de prendre ses rendez-vous avec le Préfet ou le Président du conseil départemental en leur laissant « le choix dans la date », et qui reste le seul Directeur de Service Incendie au monde à avoir dit « t’as une tâche… Pistache ! » à un préfet de la sécurité civile en exercice.

Ces facéties répétées et son culot époustouflant lui ont entre autre couté d’être démis de ses fonctions de Directeur de l’école des officiers, mais lui ont apporté un crédit important auprès des jeunes recrues et de bon nombre de pompiers de terrain...« J’en ai vraiment pris – plein – la – gueule – , mais, quand on y repense, ça valait tellement le coup, regarde ce que l’on a pu faire depuis… » lâchait-il rêveur…

Pour ces raisons, et malgré un engagement hors norme pour sa profession, Michel était également mis à la marge des cercles autorisés, position périphérique accroissant ainsi sa curiosité, son intérêt pour le monde du « dehors », pour la science, pour l’art, pour la philosophie, pour la pédagogie… Paradoxalement cela accroissait également toute la fécondité de son profil. Il était à la fois dedans, et dehors. Il savait jouer simultanément sur les deux tableaux et ne se gênait pas pour le faire…Privé des ressources allouées aux personnages plus conformes, il avait donc appris tout au long de sa carrière à se débrouiller autrement, à accepter son stigmate d’original, de marginal, à passer les frontières, mais aussi à se défendre et à manier les armes…

Particulièrement redoutable, il savait déployer des compétences dialectiques hors du commun, disposait d’une véritable compétence dans l’utilisation de la parure, la dissimulation de ses propres idées et dans les rites d’interactions sociales, dépassant de loin les compétences des meilleurs vendeurs. J’eus l’occasion de contempler toute sa panoplie au cours de joutes épiques dont j’étais le témoin amusé, devant Préfets, hommes politiques d’envergure, ou universitaires pourtant tous rompus à ce genre de sport. Tout ceci pour protéger une sensibilité hors normes, une émotivité à fleur de peau... Mais le plus surprenant est que Michel savait tout aussi parfaitement jouer des tours pendables aux siens, être particulièrement casse-pieds, invasif, capricieux, et parfois même cruel. Il était capable de trahir sans frémir ceux qui le soutenaient peut-être le plus « pour ne pas me faire accuser de favoritisme » ou « parce que le contexte l’exigeait » disait-il avec un brin de mauvaise foi. C’était peut-être somme toute la part la plus normale de lui-même.

Il avait toutefois pour lui l’honnêteté d’assumer avec un certain humour ses défauts, ses échecs (« Un moment de honte est très vite passé » disait-il souvent) voire même ses plus belles réussites « entre la science et le coup de pot ». Ce qui m’étonne le plus aujourd’hui, c’est de me rendre compte que cette part d’ombre qu’il m’a été maintes fois donnée de subir en serrant les dents et parfois en lui rendant les coups le rendait également unique, vulnérable et… attachant.

Il est important de comprendre l’ensemble de ces traits de caractères entrelacés finement étaient indissociables les uns des autres, et que cela caractérisait Michel dans son ensemble. « Il y a une médaille et il y a toujours son revers, l’une et l’autre vont de concert et sont inséparables » avait-il annoncé le jour de la remise de son ordre du mérite. Et les choses sont bien comme cela, car son profil fascinait tous les aventuriers tout autant qu’il irritait au plus haut point les apôtres de la conformité et les entrepreneurs de morale.

Michel avait toujours une pensée et une sympathie pour ceux ayant des parcours tout aussi originaux et biscornus, qu’il appelait avec affection « les charcutiers-peintres ». Il aimait en avoir autour de lui et je crois qu’il se sentait ainsi rassuré de ne pas être tout seul. C’était là son trait de génie le plus puissant de tous : il savait s’entourer de profils atypiques et profonds, et en tant que manager il se sentait investi d’une sorte de mission pastorale auprès de tous les moutons noirs à cinq pattes qu’il pouvait rencontrer. Tout n’était pas facile au quotidien, mais lorsque Michel était serein, sa compétence aura contribué à créer à plusieurs reprises autour de lui un climat unique, extraordinaire, dans lequel plaisir, innovation, invention faisaient partie du quotidien du service.

Mais cela ne lui suffisait pas. La vie tumultueuse de Michel n’ayant pas pu l’emmener vers la recherche scientifique, dès qu’il en a eu le pouvoir et la latitude, il a fait venir la recherche à lui. Il a réussi à la greffer et la faire se développer de manière étonnante chez les sapeurs-pompiers plusieurs fois dans sa carrière, établissant même un score bibliométrique singulièrement important pour un service incendie, et marquant des innovations durables du métier encore en vigueur aujourd’hui pour tous les sapeurs-pompiers de France...

Michel, je te dois toute ma carrière, mes deux doctorats, de nombreuses engueulades, de franches rigolades, des échanges merveilleux, des moments de pur génie, et tout simplement mes meilleures années de vie professionnelle, voir de vie tout court... Je me suis vu tant de fois en reflet dans ton miroir… Je n’arrive toujours pas à réaliser. Je pense à ta famille et à tes proches... A tous ceux avec qui tu as travaillé et à qui tu as allumé une flamme dans les yeux...

Michel, merci pour tout...

Au revoir, vieux renard...
Au revoir, mon ami...
Au revoir, Mon Colonel !

Marc

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Posté le 30 mars 2017 par Marc Riedel